Je commence la photographie à 16 ans. Ça c'est produit à Tataouine en Tunisie, pas loin du désert.
Il a d'abord fallut y aller, traverser la nuit, sur une route floue à l'arrière d'une 404 Peugeot. Être malade à cause des gaz d’échappement qui remontaient dans l'habitacle. Il a fallut être tombé dans les pommes, être allongé dans le sable frai et se prendre une grosse baffe dans la gueule pour être réveillé complètement vaseux.
Il a fallut dormir trois jours dans cette cour au milieu des enfants aux visages couverts de plaies purulentes et de mouches.
Être une attraction dans mon sommeil. Ouvrir l'œil et les voir s'agiter d'impatience.
Puis, partir à Mobylette vers les habitations troglodytes avec Abdel Kader.
Pour photographier avec le Kodak Retina la lumière et les ombres des maisons vides. J'étais éblouis par la puissance de la pellicule au fond du boitier, capable de prendre, de capter de saisir les fantômes du vide qui remplissaient les lieux.
Mais je n'avais encore rien compris ! j'étais passé à côté de tout et de l'essentiel.
Je n'avais pas su poser mon regard sur les gens, sur la vie, sur la lutte.
Je sais aujourd’hui que la vie est trop courte pour passer à côté des urgences humaines, sociales et environnementales, pour passer du temps sur des cartes postales. C'est fini le "j'y étais", c'est fini le joli et le sympa et les mystères aguichants, c'est fini les visites et les tours. C'est fini.
C'est aujourd’hui tous les jours, un jour de naissance à la vie, à la lutte; où je tente de refuser un système, une habitude, une technique, un reflex(e); où j'ouvre l'œil !
Où je tente d'aller au bout de cette route floue qui mène vers les gens.